Interview de Sébastien Rogues, skipper Primonial & Fondateur du Yacht Club des Entrepreneurs (YCE)
” La toile de fond de ce YCE est un réseau d’entrepreneurs passionnés par les défis dont l’union concurrence les plus grandes équipes de course au large…”
Cet interview a eu lieu dans le cadre de l’adhésion de GAC Group au Yacht Club des Entrepreneurs (YCE) dont l’objectif est de participer à un projet de R&D très ambitieux tout en mettant à disposition son expertise auprès des adhérents du club.
Quel est votre parcours et la vocation du Yacht Club des Entrepreneurs (YCE) ?
Mon parcours sportif est constitué de deux phases. D’abord la course au large en mini 6.50, de La Rochelle à Salvador de Bahia en solitaire, sans aucun moyen de communication ni aide digitale afin de me former aux enjeux de la course et de la navigation. Grâce à cette expérience et aux preuves que j’ai faite, j’ai eu la chance d’avoir accès à des bateaux plus gros et donc à l’assistance du digital (météo en direct…) que l’on connaît actuellement.
En 2013, j’ai réussi à gagner la Transat Jacques Vabre en class 40. Cela m’a permis de m’attaquer en 2014 à la Route du Rhume, une course plus complexe puisque réalisée en solitaire. Alors en tête j’avais dû être dérouté pour porter assistance à un concurrent victime d’une avarie, ce détour m’avait coûté la victoire. C’est Loïc Peyron qui l’a obtenu à l’époque avec Banque Populaire.
Ensuite, avec l’arrivée d’une technologie totalement disruptive dans le monde nautique, l’arrivée des foils (aile profilée qui permet aux bateaux de se sustenter et par conséquent de gagner une vitesse incroyable), j’ai souhaité intégrer cette nouvelle technologie qui allait bouleverser totalement l’expérience de navigation et je suis donc parti sur 3 saisons en GC32 sur le circuit d’entrainement de la coupe de l’America.
Ce qui m’intéresse avec cette nouvelle technologie est de maîtriser son intégration tout en capitalisant sur mon expérience pour peut-être un jour remporter le trophée Jules Verne sur des multicoques 100% volants.
Pour y parvenir et au-delà des aides, subventions et sponsors classiques, nous avons créé le Yacht Club des Entrepreneurs, consortium de partenaires qui a pour objectif de permettre aux entreprises de toutes tailles et tous horizons de participer à une aventure unique. La toile de fond de ce YCE est un réseau d’entrepreneurs passionnés par les défis dont l’union créée une véritable pile humaine capable de concurrencer les plus grandes équipes de course au large.
Quels sont pour vous les enjeux qui attendent les acteurs du nautisme autour l’innovation de rupture ?
Aujourd’hui, le travail de manufacturing a été fait. On sait faire voler un bateau, même de 15 tonnes. Les verrous scientifiques ont donc été levés à ce niveau. Ce qui était un rêve il y a quelques années est devenu une réalité même s’il reste et restera toujours beaucoup à faire un terme d’optimisation et de développement des nouvelles technologies de manufacturing.
Le prochain enjeu qui demain va être un levier de performance énorme est le digital. Les bateaux qui permettent de voler au large sont extrêmement complexes mais il y a quelque chose qui n’a pas encore été véritablement intégrer, c’est l’Intelligence Artificielle.
Comment faire du nautisme augmenté grâce à l’IA et non pas des bateaux autonomes ? Comment aider les marins à pouvoir prendre les meilleures décisions de manière anticipée ? Lorsque l’IA va arriver à maturité dans le monde du nautisme, les bateaux et leurs pilotes seront capables de performances hallucinantes !
Il faudra prendre cela avec mesure pour ne pas dénaturer le principe même du nautisme à savoir défendre certaines valeurs liées l’innovation notamment au service de la protection de l’environnement et d’un travail humain autour de la voile ! Cependant, c’est le même débat dans bon nombre d’autres disciplines sportives et entrepreneuriales : garder l’humain au centre du tout digital…
Que vous inspire le dynamisme de startup du nautisme comme Kara Technology ?
Ce sont des sociétés extraordinaires. Elles sont révolutionnaires et bousculent la vie à l’intérieur d’un bateau, ce qui permet d’apporter de la simplicité (l’objectif de Kara étant de permettre d’automatiser le rangement des bateaux lors des arrivées aux ports). Le digital va aider mais cela pose aussi des questions liées à l’énergie. L’un des freins du digital est la consommation d’énergie.
Comment dans un milieu fermé on arrive à concevoir assez d’énergie pour faire tourner les ordinateurs derrière tout cela ? Ici aussi, les startup sont extrêmement innovantes et permettent de très belles choses (remplacement du pétrole par des biogaz, hydrogène, utilisation du vent et du soleil…) !
Quels sont vos enjeux en termes de projets innovants ?
Aujourd’hui, l’un des enjeux auxquels nous faisons face est de savoir comment intégrer l’expérience au centre de la stratégie marketing de nos projets et sortir de ce que nous connaissons tous à savoir le nom d’un seul partenaire affiché sur le bateau. Comment ouvrir à tous l’expérience navigation ? Comment démocratiser et révolutionner le sponsoring voile ? Quels nouveaux modes de financement pour notre sport ?
Demain, grâce à la réalité augmentée, nous pourrons embarquer des milliers de personnes sur nos bateaux afin de leur faire vivre cette expérience unique…Grace au digital, le seul frein à l’innovation est l’imagination…





Au sein de votre entreprise par exemple, il n’y aucun intérêt à donner comme directive à vos équipes techniques « Il faut que nous soyons sur l’IA, sortez-moi une idée de produit », il est préférable de formuler clairement votre objectif et de confier ce projet à l’ensemble des équipes du projet (techniques et marketing) : « L’IA pourrait nous permettre de répondre à la problématique X de nos clients, comment pourrions-nous matérialiser cela technologiquement et commercialement ? ».
Pour cela, vous devez mettre en place une équipe pluri-métiers agile et créative incluant des consultants, ingénieurs et chercheurs externes, capables de challenger de manière constructive les équipes internes à chaque étape du cycle de vie du projet. Tous parlent le même langage et connaissent les contraintes et opportunités du marché, ce qui favorisera l’émergence d’idées créatives, pragmatiques et commercialement performantes. Cette approche peut se baser par exemple sur la validation des concepts, l’expérimentation scientifique et le design itératif. Le test and learn à chaque étape apporte des correctifs au fur et à mesure et permet d’arriver à la fameuse étape « marketing de l’offre » avec un projet d’innovation parfaitement pensé en termes stratégiques.

Le rôle du marketing de l’innovation est de s’adapter selon la nature de l’innovation et permettre de s’assurer de faire les meilleurs choix, à chaque étape du projet. Quand l’innovation nécessite de faire évoluer les usages, le marketing permet l’explication de l’innovation au marché (ex : les tablettes numériques). Inversement, s’il s’agit d’un nouveau business-model (ex : Uber pour le transport), le marketing de l’innovation doit permettre de comprendre le meilleur prix psychologique avec lequel lancer son offre. Enfin, une innovation technologique (ex : la domotique) va nécessiter d’utiliser le marketing de l’innovation pour s’assurer que l’avantage ou l’axe différenciant de la technologie promue est clairement établie et comprise par le marché.
Par exemple, une licorne comme AirBnB peut se targuer d’avoir utilisé le marketing de l’innovation à bon escient pour révolutionner le marché de l’hôtellerie. Partant d’une envie de rentabiliser une collocation à San Fransisco en louant un bout de salon et quelques matelas gonflables pendant un gros salon du design, Joe Gebbia et Brian Chesky ont vite mis en place un marketing de l’innovation ponctué de techniques de growth hacking et d’AB Test pour créer un nouveau marché et n’ont pas tardé à lancer une offre perfectible auprès d’early adopters. Offre qui mettra ensuite des années à se perfectionner pour finalement être adoptée par plus de 60% des voyageurs français .
Lorsqu’Apple a commencé à sortir l’IPhone, il était imparfait mais sorti au bon moment avec le bon message. Cette imperfection était parfaitement calculée (cf : séries d’Iphones de 1 à 10). L’ensemble des étapes du marketing de l’innovation étaient anticipées pour en faire une vraie révolution. 